by M.E et C.A
Photographies : Emmanuel Lafay
Pourquoi habiter le centre ville de Tunis ?
La volonté de réinvestir le centre ville de Tunis n’est pas uniquement animée par la nostalgie des vieilles pierres et des architectes fantaisistes de l’époque.
Elle est en réalité une réponse à la décrépitude d’un quartier et à la démolition systématique de certain immeubles « beaucoup trop à l’état de ruine pour être rénovés » FAUX !
Les rues sont encombrées de voitures, de vendeurs ambulants, d’enseignes lumineuses et de tous les déchets résultant d’une activité commerciale intense et finalement peu respectueuse de son environnement.
Les immeubles affichent un état de ruine avancé dû à un manque d’entretien, à la saleté et aux manœuvres peu éthiques de certains promoteurs. Malgré tout, la vie qui grouille dans ce centre offre aujourd’hui un cadre favorable à une rénovation et une réhabilitation en profondeur.
Une sorte de renaissance, une nouvelle histoire pourrait s’écrire pour Tunis.
L’unité et la cohérence d’une ville tiens à son aménagement urbain et non pas à ses façades et ses styles architecturaux.
La réalisation de la ville coloniale repose sur des principes simples tels que des largeurs de rues suffisantes pour permettre une circulation fluide, une orientation des rues et des gabarits de bâtiments nécessaires à une ville hygiénique et enfin des infrastructures favorables au développement des transports en commun comme le tramway.
Cet aménagement urbain décidé par les urbanistes et ingénieurs de l’époque à livré un squelette (le plan directeur), des gabarits (des hauteurs et emprises de bâtiments), des espaces vert (les poumons de la ville) dans lesquels s’est épanouie l’architecture sous tous les styles que nous connaissons.
Attardons nous alors sur ce Tunis du 20e siècle mêlé d’éclectisme, de rococo, de classicisme, d’orientalismes et d’art déco.
Pour de nouvelles destinées
Pour être complète, la réflexion autour de la revalorisation du centre ville de Tunis doit être à la fois d’ordre architectural, urbain, social et économique. Sortons du cliché des rénovations, en respectant l’essence des lieux, en favorisant un brassage et une activité culturelle intense. Favoriser l’activité économique ne passe pas uniquement par l’implantation de bars et de restaurants. Il faut aussi penser à créer des stationnements, garantir une largeur de trottoir suffisante, ainsi que leur propreté afin de garantir le bien être de chaque individu.
Aujourd’hui, des immeubles de grande qualité sont démolis sous prétexte que leur état de ruine ne permet pas une rénovation. Et si le phénomène s’inversait ? Si ces immeubles devenaient la convoitise de restaurateurs, galeristes, d’artistes, d’hôteliers soucieux de conserver la richesse de l’écrin architectural ?
Mais surtout et simplement si de simples citoyens, aspirant à un mode de vie confortable ancré dans une réelle urbanité pouvaient accéder facilement aux équipements publics (école, hôpitaux, banques, poste, etc), aux loisirs et aux transports et investissaient clairement et fièrement ce centre délaissé.
Vous avez entre 25 et 45 ans, deux enfants ? Alors venez acquérir les somptueux appartements de la rue d’Angleterre, de la rue Charles de Gaulle ou encore de la rue de Russie !
Des espaces généreux, sans oublier les hauteurs sous plafond vertigineuses, la solidité de la construction, le marbre de Carrare et les marqueteries italiennes ne peuvent nous laisser indifférents.
« Les architectures » de Tunis
Le centre que nous connaissons aujourd’hui, assez dense et ramassé entre la porte de France et le début du Lac s’est constitué autour du consulat de France à la fin du 19e siècle. La ville moderne, avec l’instauration du protectorat s’est développée le long de l’axe qui relie la porte de France à la mer : l’avenue de France aujourd’hui l’avenue Habib Bourguiba donne accès aux différentes artères qui composent l’ensemble de la ville.
Une ville gagnée sur les marécages et les anciens réceptacles d’eaux usés de la médina. Ainsi s’est formé le nouveau Tunis sur la base d’une grille formant des quartiers aux visages variés : les quartiers résidentiels et d’affaires se sont réunis au nord de la grande avenue, le sud a concentré les zones industrielles et les quartiers populaires.
Pour ceux qui pratiquent régulièrement le centre ville lèveront les yeux au ciel pour exprimer l’extrême congestion de la ville par les voitures et les ordures. En effet, comment faire l’impasse sur le stationnement et la circulation dans un projet de réaménagement ?
Le trafic intense dans des rues peu larges, les trottoirs étroits déjà occupés par les arbres, les vendeurs ambulants et l’étalement des vitrines rendent la marche du promeneur impossible, et offrent un bain de pollution visuelle et sonore. La bonne santé de la ville passera par la fluidification de la circulation et la possibilité de stationner aisément. La facilité des déplacements est essentielle pour le dynamisme d’un centre. Il faut savoir bousculer certains a priori car il ne s’agit pas de scléroser le tissu urbain et de transformer le centre ville en un musée.
Par exemple, établir des parkings à étages dans les parcelles inoccupées ou compléter des immeubles peu élevés en y ajoutant des niveaux de stationnement. Le parking est un élément essentiel à la renaissance du centre. Ce type de bâtiment, souvent considéré comme une arrière cour, quelque chose que nous devons dissimuler, pourrait même apparaître en vitrine d’un immeuble de belle facture où se mêleraient les commerces au rez de chaussée, les parkings à l’étage et un somptueux restaurant sur le toit.
Il est temps de réagir et de mettre en avant un patrimoine architectural d’une grande richesse. Véritable source de richesse économique basée sur une histoire, des lieux, des architectures et une douceur de vivre voilà ce que pourrait être Revival Tunis : une façon de sauver le cœur de Tunis et de le penser comme une métropole moderne.
Revival
Imaginons le «Revival Tunis» comme une mutation, une reconstruction de la ville sur elle même, en y introduisant de nouveaux usages.
L’ensemble des appartements qui occupent le centre ville est basé sur un modèle haussmannien : les façades et les parties communes (halls d’entrée et cages escaliers) attestent d’une volonté d’afficher une réussite sociale, elles sont une sorte de vitrine où l’apparence est soignée et donne lieu à de grandes manifestations du travail délicat des artisans de l’époque. Les appartements s’articulent autour d’un hall généreux et d’un couloir assez large desservant les pièces. Toutes les pièces de vie, les espaces « nobles », sont orientées vers la rue, la cuisine est, quant à elle, ouverte sur la cour, domaine privé des domestiques. De belles hauteurs sous plafond caractérisent les premiers niveaux. Seuls écarts au modèle parisien: le dernier niveau sensiblement plus bas distribue un plus grand nombre d’appartements avec un accès depuis une coursive sur la cour intérieure (voir photo page 72), et le toit, accessible, offrant une terrasse sur laquelle sont construites une ou plusieurs petites chambres comme autant de cabanons indépendants « bit el stah » (la chambre du toi).
A quelques exceptions près l’ensemble des immeubles de Tunis présentent une distribution interne similaire. Des variantes ont ensuite été apportées dans la modénature de façades néo mauresques, néo classiques, art déco, baroques ou encore éclectiques.
Les terrazos (revêtement de sol coloré) et les moulures sont désormais noyés sous les câbles électriques, il ne reste plus grand chose de l’époque faste, les ascenseurs ont cessé de fonctionner depuis les années 1980, les rambardes sont fragilisées et les dalles en marbre des escaliers se fissurent, les enseignes de magasins et les appareils de climatisation ont fini par défigurer ce qui restait de la façade.
Mais réjouissons nous, les transformations bricolées n’ont pratiquement rien altéré. La rénovation est tout à fait envisageable à ce stade.
A l’heure de la paupérité énergétique, il serait vain de réhabiliter ces immeubles, en ne conservant que leur décor. Il serait également inopportun de les transformer en machines à frigorie pour remédier à leur faible confort thermique. Aujourd’hui la médiatisation du développement durable donne de la force à des propositions de réhabilitation qui parlent de mixité sociale, de densification, de conception bioclimatique, de desserte urbaine par les transports en commun, de recyclage et de confort variable selon le cycle saisonnier.
Une des composantes majeures du «Revival Tunis» serait de baser la réhabilitation sur l’introduction de nouveaux usages : densifier le tissu urbain en occupants les toitures (voir simulation OVNI et NID page), introduire de nouveaux appartements dans un étage courant pour favoriser le rapprochement intergénérationnel (voir simulation IMPLANT) et enfin, encourager les sociétés à investir des immeubles et amener dans leurs sillages de nouveaux programmes tels que les restaurants d’entreprise, des crèches, des salles de sports ou centres de bien être.
L’introduction de ces nouveaux usages nécessite une remise aux normes, un confort thermique intelligent et des travaux d’embellissements.
Il est alors, fort à parier que ce Revival ferait appel à l’utilisation de nouvelles matières telles que les nouvelles cloisons qui, tout en restant légères, permettent de bénéficier d’une forte inertie, grâce à des composants chimiques à changement de phase. Ce parti pris de la légèreté et d’un bon confort thermique rendrait possible l’occupation des toitures, sans trop alourdir les structures existantes.
Au-delà de l’utilisation de matières sophistiquées, le rafraîchissement et l’ombre pourraient également passer par l’intégration de l’eau et de la végétation à des endroits improbables (voir simulation LABYRINTHE). Le Revival est aussi un moyen de sortir la ville de son ambivalence vernaculaire / contemporain «moderniste». De nouvelles formes architecturales pourraient ainsi émerger, parallèlement aux ravalements des façades et des parties communes.
Les simulations présentées dans les pages suivantes montrent à quel point des réponses architecturales nouvelles et adaptées peuvent, à la fois mettre en valeur et modifier l’image des bâtiments existants, pour le plus grand bonheur de leurs occupants.
Le Revival est un concept qui propose à la ville de Tunis d’évoluer et de se construire sur elle même afin d’envisager un avenir prospère. C’est un moyen de rendre ce centre plus attractif, d’établir en son sein une économie dynamique, un cadre de vie pérenne et l’amener vers une densification plus durable que le mitage que l’on constate actuellement.
Simulation l’OVNI
Destination : Habitation
Emplacement : Toit terrasse
Caractéristiques : Cloisons à changement
de phase et pilotis d’acier.
Simulation IMPLANT
Destination : Habitation
Emplacement : Entre deux immeubles formant une passerelle.
Caractéristiques : Structure acier et façade en maçonnerie.
Simulation LABYRINTHE
Destination : Habitation
Emplacement : Toit terrasse
Caractéristiques : Pallissades en bois formant des écrans ou claustras diposés parallèlement afin de libérer des espaces pour des bassins d’eau et de la végétation
Simulation LE NID
Destination : Restaurant nocture
Emplacement : Une partie de toiture
Caractéristiques : Bardage en bois et escalier d’accès en acier galvanisé.
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